Cinq-cent-quatre-vingt-sixième goutte
Squat autogéré Anarcho-naturiste et Sadomasochiste.
Angélique de Montbrun par Félicité Angers, mon prochain livre, sera publié le 8 octobre prochain aux Éditions du Remue-ménage. Pour rendre hommage à Laure Conan, la première romancière québécoise qui est morte il y a cent ans cette année, j’ai eu l’idée iconoclaste de tordre son roman le plus célèbre, y ajouter des scènes de sexe explicite et surtout, transformer le domaine de Valriant dans lequel Angélique habite… en commune autogérée anarcho-catholique naturiste et sadomasochiste sur les champignons hallucinogènes.
Je vous offre un extrait pour vous faire saliver (ou pas):
21 août
L’aménagement de la chapelle est à peu près terminé. Ce matin, après avoir donné congé aux ouvriers qui s’y affairaient encore, j’ai mis la dernière main à notre lieu de communion.
Aux murs, nous avons placé un chemin de croix très particulier que papa avait ramené de Florence lors d’un de ses voyages. Réalisé par un artiste anonyme, il est constitué de quatorze peintures à l’huile qui illustrent les quatorze stations traditionnelles, mais d’une façon fort troublante qui magnifie la beauté des corps nus des légionnaires, de Simon de Cyrène, de sainte Véronique, des larrons – et même de la Vierge Marie et du Christ. Dans le chœur, Mina a accroché un crucifix que Louis-Philippe Hébert a sculpté expressément pour elle, à l’époque où il la courtisait. Notre Sauveur y arbore une érection triomphale. Nous avons complété ce décor en hissant un lustre au plafond qui, avec quatre candélabres, assure un éclairage adéquat à nos exercices spirituels.
Nous avons ensuite installé tous les meubles et accessoires nécessaires pour mener à bien nos séances. Dans le chœur, en lieu et place de l’autel, nous avons placé notre chevalet et, sous le crucifix, nous avons fixé au mur une croix de saint André qui servira à flageller celles qui le réclament. Dans la nef, en plus de quelques bancs, nous avons installé des prie-Dieu, des paillasses, un cheval d’arçon et un pilori. Dans chacun des bras du transept, nous avons fait placer une immense armoire pour y ranger nos outils: martinets, cravaches, sangles, fouets, cannes, chandelles, godemichés, chaînes, bâillons, cagoules et aiguilles. Enfin, nous avons vissé des anneaux aux murs et des poulies au plafond, pour permettre la suspension des corps dont les âmes marchent vers Dieu.
Nous fûmes donc fin prêtes pour la séance du soir où Marie connut le plus puissant ravissement de toute sa vie. Depuis son arrivée à Valriant, elle nous avait souvent parlé de son désir d’avoir le nom de Dieu brodé dans son corps ; c’était pour elle une façon de prier pour obtenir un jour la grâce des stigmates. J’eus la responsabilité de préparer tout le nécessaire : des fils à broder de toutes les couleurs, des aiguilles de diverses tailles, un dé à coudre doré, de l’alcool à friction et des bandes de coton. Véronique, quant à elle, prépara une décoction très spéciale et extrêmement puissante, car le tourment que Marie avait choisi allait exiger d’elle toutes ses forces.
À la brunante, Marie but la tisane de fer de lance et dans l’attente de ses premiers effets, nous la dévêtîmes et l’installâmes le ventre contre le chevalet. Nous nous relayâmes pour fustiger ses fesses avec le martinet : Mina d’abord, Véronique ensuite, puis Eugénie et enfin moi.
Lorsque Marie eut ses premières visions, lorsqu’elle nous annonça qu’elle apercevait les portes du Paradis, je fus désignée pour lécher amoureusement son anus et sa vulve afin qu’elle soit prête pour le supplice. Véronique et Mina la firent s’asseoir à califourchon sur une chaise de bois. À l’aide de sangles de cuir, elles attachèrent ses chevilles aux pattes de la chaise et ses poignets à son dossier.
C’est à Eugénie qu’incomba la tâche de broder le dos de Marie en utilisant le point de bouclette. Elle choisit une longue aiguille assez grosse, se pencha sur la boîte de cotons à broder multicolores, en tira une aiguillée rouge foncé, l’enfila et ajusta à son auriculaire le dé. Marie, en transe, regardait vers l’horizon, la lèvre inférieure tremblante.
Eugénie piqua la pointe de l’aiguille dans le dos de Marie, d’un geste rapide, que n’arrêta ni le craquellement de la peau ni la pression de la chair qu’elle fouillait. Le sang qui commençait à s’écouler ne la troubla pas, même si la douleur faisait sursauter Marie. S’aidant de son dé, elle poussa l’aiguille pour que la pointe ressorte, y entortilla le fil comme l’exige le point de bouclette et tira. La longue aiguillée traversa la chair et ressortit, formant une petite boucle rouge qui se dégageait mal du sang qui perlait. Patiemment, Eugénie recommença encore et encore ce même point.
Le visage contracté de Marie semblait contempler l’au-delà. Sa respiration était saccadée et la sueur se formait sur son front et aux ailes de son nez. Plus tard, elle nous raconta qu’elle s’était sentie transpercée jusqu’au cœur par les épines de la couronne du Christ, alors qu’en boucles minuscules, les lettres du nom de Dieu étaient brodées : Y/H/W/H. Après chaque lettre, Eugénie faisait un nœud et coupait le fil avec ses dents, au ras du corps de Marie. Elle la frôlait ainsi en un doux baiser sororal et ses lèvres s’humectaient de sang.
Quand toutes les lettres du nom de Dieu furent inscrites en sa chair et que le sang, qui commençait à coaguler, enveloppa de longues arabesques le fil brodant son corps, Marie entra enfin dans une transe extatique profonde. Ses yeux se révulsèrent et, l’écume à la bouche, elle se mit à trembler et à parler en langues. Nous fûmes troublées au plus profond de notre être par ce spectacle, sa foi entrant en nous comme une vigueur. Le ravissement dura de longues minutes, et lorsqu’il se termina, Marie s’affaissa et perdit connaissance. Une flaque d’urine se forma sous la chaise, ce qui nous indiqua qu’il était temps pour nous de la détacher, de la laver, de panser ses plaies et d’aller la border dans le lit de sa cellule.
Je passai le reste de la nuit à son chevet, priant Dieu pour avoir un jour le courage de lui montrer une dévotion et une foi aussi inébranlables.